Une dernière danse maman
Je t’enlace comme si c’était la dernière fois et je découvre une petite odeur de monoï là juste près de l’oreille. Elle me rappelle ces après-midi dans notre petite maison de banlieue parisienne pendant lesquels tu t’enduisais et te lézardais au soleil. Je ne comprenais pas bien l’intérêt à l’époque mais je te trouvais jolie. Aujourd’hui tu es fatiguée, davantage encore qu’il y a deux jours quand je t’ai conduite faire un ultime scanner. Un mal te ronge et ne te laisse que peu de répit. On aura le diagnostic définitif dans quelques jours mais le fait est là : tu as une tumeur inopérable de la taille d’un œuf au milieu du cerveau et on nous a parlé de « quelques mois ». On attend maintenant de savoir si cette intruse est venue toute seule ou accompagnée. « Un cancer du poumon métastasé « , c’est l’hypothèse forte. Personne ne sera surpris, tu as une clope au bec depuis tes 13 ans. Mais quelle horrible douleur. J’ai du mal à parler d’injustice. Je suis en colère même. Il y a bientôt 3 ans je t’ai encouragée à arrêter de fumer pour « gagner des années » - comme je disais à l’époque - pour profiter de ton premier petit-fils qui allait naître. En discutant avec la famille on s’aperçoit que c’est à peu près à cette époque que sont apparus les premiers symptômes finalement. Tu as essayé, on ne te l’enlèvera pas, mais tu n’as pas réussi et on ne saura jamais si ça aurait pu te sauver ou non. La véritable injustice c’est de te perdre si tôt. On venait d’emménager dans la région pour se rapprocher de vous et profiter un maximum, pour vous et pour le petit. Ce petit qui n’aura pas la chance de te connaître, de rire et de danser avec toi comme j’ai pu le faire. Que tu vas manquer maman. Et ma petite sœur qui n’aura pas la chance elle non plus de t’avoir à ses côtés pour son premier enfant. Qui la rassurera comme tu le faisais si bien ? Enfin mon père qui va perdre sa partenaire de vie. Il n’y a pas d’adjectifs assez justes pour qualifier votre relation. Je n’oserai pas. Gamin je me souviens de l’un de vos amis qui disait que vous étiez comme des perruches inséparables tous les deux. Bien sûr j’ai également une pensée pour toutes les personnes qui t’aiment et qui souffrent déjà, comme nous, de ce sort qui t’attend et de l’absence inévitable. Toi tu ne souffres pas et il faut s’en réjouir. Tu disais vouloir mourir dans ton sommeil comme ton oncle Jean. Gagné maman. C’est une peine en moins pour nous aussi de ne pas te voir te tordre de douleur. Mais les symptômes t’affectent particulièrement et j’ai le sentiment que tu vois l’échéance fatale comme une délivrance. La tumeur est logée dans la zone de la mémoire et du langage. Tu ne te souviens plus des prénoms et c’est difficile d’avoir une discussion avec toi au sujet de tes proches ou d’évoquer un souvenir. Tu perds les mots, les inversent souvent, et c’est compliqué pour toi de t’exprimer normalement. Tu répètes aussi que tu ne comprends pas tout. Je vois que c’est lourd pour toi car tu conserves un peu de lucidité et je vois l’abattement parfois. Je vois aussi que tu marches dans le couloir de la mort, sereine. L’as-tu toujours su ? À l’annonce de cette terrible nouvelle j’ai imaginé fabriquer des souvenirs avec toi et tout le monde pour te donner une belle fin et pour nous aussi d’avoir des souvenirs chauds et heureux. T’emmener visiter un temple bouddhiste, marcher au bord de l’eau, aller danser, manger des sashimis, faire les boutiques. Mais il n’en est rien. Tu fais péniblement le tour de ta maison à pieds et tu ne supportes pas 15 minutes de voiture. Tout ce que l’on peut faire c’est te raconter des choses heureuses et positives pour te faire sourire, de te dire des bêtises pour te faire rire et puis te serrer fort, très fort. Tu étais ma première lectrice, la plus fidèle aussi et je vais écrire comme si tu pouvais lire ces mots même si je sais que tu n’en es plus capable. Tu resteras la première femme de ma vie maman, mon premier amour. Merci de toutes ces choses que tu m’as transmises, merci d’avoir toujours été présente dans les épreuves, merci d’avoir fait l’homme que je suis, le père que je suis. Que j’ai aimé grandir avec toi, qu’elles que soient les phases de ma vie. J’ai d’innombrables souvenirs et je parlerai de toi comme une belle personne, une femme pétillante, généreuse, battante, attachiante, qui aimait les gens, elle-même pas assez, câline et râleuse à la fois. J’aurais voulu te rendre plus, te donner plus, tu le méritais tant. Je m’aperçois que je parle de toi au passé … Que dire… Je passe demain prendre le café. Je t’aime maman.
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