Les premiers « sans toi »
Il y a deux semaines tu n’étais pas là pour ton anniversaire, nous non plus d’ailleurs. C’était le premier sans toi. Tu as rendu ton dernier souffle, apaisée, le 16 juillet, cinq mois quasiment jour pour jour après le diagnostic de ton cancer. Ce jour là l’hôpital nous avait appelés quelques heures plus tôt nous disant que ton état s’aggravait et que c’était bientôt la fin. Tu étais arrivée aux urgences deux jours plus tôt. Tu avais avalé ton café de travers et des complications t’empêchaient de respirer. Le SAMU était venu et la décision avait été de t’emmener aux urgences pour améliorer ta prise en charge. Il y avait bien six personnes discutant de ton cas dans ta chambre et tu as levé le bras pour que je te tienne la main. C’était la première fois depuis le début de cette funeste aventure que je voyais de la crainte dans tes yeux. Ce fut la seule et la dernière. Je t’ai rassurée, comme j’ai pu. Les ambulanciers ont été adorables et t’ont portée dans ton lit médicalisé jusqu’à l’ambulance. Quand le camion est parti on a su avec papa que c’était un aller simple et que plus rien ne serait jamais comme avant. Le 16 juillet donc, suite à l’appel je suis arrivé en premier dans ta chambre. Tu avais les yeux fermés, le visage détendu mais le souffle qui racle, la faute à cette fausse route qui avait tourné en pneumopathie et qui te sera fatale. Je t’ai parlé comme si tu entendais tout, j’ai essayé de te rassurer en te tenant la main, encore, te dire que tout allait bien se passer, pour toi, comme pour nous qui resterons. Je t’ai dit que je ne t’en voulais pas et que je t’aimais, tout simplement. Qu’on était bien dans notre nouvelle maison, qu’elle t’aurait plu et que l’arrivée au village me rappelait quand on arrivait à Nérignac. Je t’ai dit également qu’on allait essayer d’avoir un deuxième enfant. Je t’en ai dit des choses mais je retiens davantage l’émotion de cet instant intime avec toi plutôt que les détails. Ce que je ne savais pas encore à ce moment là c’est qu’on allait bel et bien être parents à nouveau car la vie venait d’apparaître quelques jours plus tôt dans le ventre de Camille. Papa est arrivé à son tour juste à la fin de mon monologue. Il t’a pris la main, t’a parlé pour te rassurer lui aussi et tu as ouvert les yeux. J’étais bouleversé. Je me souviens te tenir une main et te caresser le front. Et pleurer. Entendre ta respiration ralentir, lentement, longuement. Que c’était long. Et cet air qui s’échappe une dernière fois. Je t’ai vue partir, j’étais là jusqu’au bout avec toi comme je te l’avais promis. Aussi doux que fut ce moment de t’avoir accompagnée maman c’est aussi une des choses les plus violentes que j’ai jamais vécues.
Je pense que mon deuil avait commencé bien avant cette échéance mais les obsèques qui ont suivi ont été une sacrée épreuve. En amont le choix des chansons qui seront diffusées, le choix de LA photo qui sera mise en avant, les process avec les pompes funèbres et tous les autres détails logistiques. Et puis pendant, la peine et la douleur dans les yeux des gens présents, l’absence offensante et impardonnable de certains, l’écoute des dites chansons, le diaporama de photos, les discours… Je suis passé à côté de l’exercice ! J’aurais voulu te faire honneur et poser des mots qui auraient résonné dans le coeur de tes amis, de ta famille et qui auraient dit cette magnifique personne que tu étais. Tout est resté dans les chaussettes et j’ai été noué par la tristesse du moment. J’ai pris en pleine figure les souffrances que tu avais vécues de ton enfance jusqu’à cet ultime instant. J’ai malgré tout pu mettre en avant ta force incroyable, sortie de nulle part, celle-là même qui t’a accompagnée dans tes épreuves, la même que tu as réussi à me transmettre toi qui manquait terriblement de confiance en soi. Quelle épreuve.
L’été passa. Il y eut l’anniversaire de Camille, sans toi. Elle m’annonça quelques semaines plus tard la bonne nouvelle de sa grossesse. On n’osa pas s’en réjouir trop fort, les émotions s’entrechoquaient. Malo fit sa première rentrée à l’école. J’ai passé deux jours dans ce temple bouddhiste où je voulais t’emmener près de Lodève. Pour couper et me recentrer. Faire une prière pour toi aussi. Une épreuve d’une autre forme ce séjour. Solitude, introspection, première méditation guidée qui m’a fait imploser suivi de pleurs incessants pendant de longues minutes. A refaire.
Et puis une dernière épreuve. Enfin dernière… Toi qui avait peur de l’eau, de l’océan et ne savait pas très bien nager, ta dernière volonté c’était de disperser tes cendres au large du Grau du Roi. L’humour à la Coco. On organisa ça à la mi-octobre. J’y suis allé détendu me disant que c’était une formalité pour te rendre hommage. Et hop le boomerang. C’était comme te dire au-revoir encore une fois, revivre péniblement les instants de cette chambre aux urgences, ou encore le torrent d’émotions liés à ces souvenirs lointains en écoutant la playlist qu’on avait faite pour l’occasion. J’ai de nouveau vacillé et j’ai compris que ça allait être long.
Et enfin le 21 novembre, ton anniversaire donc. J’ai redouté la date des jours durant et puis au réveil ce jour-là rien. Un jour comme un autre, juste Malo encore fiévreux comme la veille et qu’on choisira de ne pas mettre à l’école et de garder la maison un deuxième jour d’affilée. Sagesse. Première alerte dans l’après-midi, le petit va vraiment pas fort, la fièvre ne tombe pas. On ne s’alarme pas, il nous en a fait voir plus d’une fois on la joue blasé, mais on sent quand même que cette fois là est un peu spéciale. 17h30 Camille qui m’appelle inquiète, elle tient Malo dans ses bras, il tremble et semble absent puis se met à convulser sous nos yeux. Son regard nous fixe puis devient vide, ses yeux se révulsent, ses lèvres deviennent bleues et enfin cette respiration… ce souffle… je le reconnais, c’est le même que ton dernier maman. Mon cerveau m’hurle que je revis la même chose et qu’il est en train de partir, lui aussi. C’est un cauchemar. J’ai appelé les pompiers entre temps et déblatère, hurle mon adresse à la personne au bout du fil qui me demande limite mon numéro de sécu. Je suis au milieu de la rue, en chaussettes sur la chaussée détrempée, sous la pluie, cherchant une aide invisible, le médecin du SAMU au téléphone, distancié me disant qu’il verra avec l’infirmier des pompiers. On ne sait pas quoi faire, on crie le nom de notre fils en le regardant impuissants et démunis, encore et encore, comme s’il pouvait entendre nos voix depuis l’autre bout du tunnel et que ça allait le ramener. Puis les convulsions se calment et il reprend son souffle soudainement. On nous dira qu’iI a fait une pause respiratoire. Il a pris un congé sabbatique de la respiration oui. Il se blottit, épuisé, dans les bras de sa mère et les pompiers arrivent. « C’est votre premier ? » me dit le chef d’équipe. J’ai envisagé très fortement le mawashi gueri jodan et puis je me suis dit que c’était une manière de me rassurer et me suis raviser. Les gars sont tranquilles, Malo aurait juste pris un gros coup de chaud mais il faut quand même l’examiner, direction les urgences pédiatriques de Lapeyronie. Le nom m’est familier mais je suis sonné je ne percute pas. Camille et Malo partiront dans le camion avec les pompiers. Je les suivrai avec un sac d’affaires « au cas où ». Trente minutes de route, les plus longues de ma vie. J’envisage tous les scénarios possibles, les plus terribles surtout. Et si j’arrivais à l’hôpital et qu’il était déjà trop tard. J’accélère sur la voie rapide et me reprends. Il y a un scénario positif où tout finit bien et ce serait trop bête de tout gâcher avec un nouvel accident. Je reconnais la route. Manquait plus que ça, retour à l’hôpital où tu es partie maman. Cette fois je devrai me diriger vers les urgences pédiatriques. Je me gare et suis les indications pour rejoindre le bâtiment. C’est le même. Des images me reviennent, les émotions me submergent. Je croise le chef d’équipe des pompiers. « Le petit va bien, ils ont été pris en charge, annoncez-vous à l’accueil ils vous indiqueront et vous pourrez aller les rejoindre, ça va aller maintenant ». Il n’a pas encore vu de médecin mais je me sens rassuré. « Je vous ouvre la porte automatique et ensuite vous allez tout droit puis à droite au fond du couloir » me dit la personne à l’accueil. Je reconnais ces lieux. La chambre où se trouvent Malo et Camille est littéralement au-dessus de celle où tu étais maman. Le médecin nous renverra à la maison en nous disant que c’était une crise convulsive fébrile simple. C’est rare mais bénin - et surtout traumatisant pour les parents - elle ajoutera simplement de consulter en urgence dans le weekend s’il y avait récidive ou si la fièvre ne redescendait pas car dans le premier cas la crise serait complexe et c’est pas glop et dans l’autre ce pourrait être une infection. Elles vont être sympa les prochaines 48 heures. Je regarde par la fenêtre et je revois cette cour où je faisais les cent pas quelques mois plus tôt, je me revois appeler ta meilleure amie, ma marraine, pour lui annoncer la terrible nouvelle. Je me revois appeler ma soeur pour lui dire de nous rejoindre. Cette nuit-là je dormirai sur un matelas par terre aux côtés de mon petit en surveillant sa température et en changeant un gant frais sur son front le plus fréquemment possible. La fièvre redescendra le surlendemain, le dimanche matin, et il retournera à l’école le lundi comme si de rien n’était. Je me réveillerai le même lundi scié en deux avec une angine bactérienne carabinée.
J’ai encore un paquet d’interrogations ouvertes. Etait-ce une forme de test tout ça ? Pourquoi ce jour précis ? Pourquoi cet hôpital ? Cette chambre ? Y-avait-il un symbole derrière ? Pourquoi ? Pour quoi ?
Je ne cours pas après les réponses et je m’en moque presque. En revanche je sais quel est mon essentiel déjà depuis longtemps et après ce dernier événement je suis encore plus reconnaissant de ce que j’ai et je compte bien pleinement en profiter. Pas le temps de regarder dans le rétro désormais.
Il m’aura fallut quelques mois avant de pouvoir coucher des mots. J’étais dans une phase introspective avant que tu tombes malade maman et clairement tout ça a exacerbé les choses. J’ai longtemps cherché à relier les choses entre elles : m’exprimer, diversifier mes activités, mettre du sens, m’apaiser, partager. Des personnes que j’estime beaucoup m’ont dit dans des contextes très différents que j’étais un guerrier, un warrior, un vrai « samouraï ». Ça peut faire sourire mais ça m’a surtout touché car ça correspond une vraie philosophie de vie pour moi. Je l’ai héritée de toi maman bien sûr et je l’ai aussi nourrie à travers ma pratique des arts martiaux et les bonnes et - surtout - mauvaises expériences de la vie. Il y a une choses qui tourne en boucle dans ma tête et à laquelle je me raccroche: j’ai besoin de continuer à te rendre fière. C’est toi qui m’avait incité à écrire, tu étais ma première lectrice, c’est donc pour cette raison que j’ai décidé de reprendre ce site. Je ne suis pas encore prêt pour reprendre la rédaction de Soleil Noir. En revanche j’ai envie de partager cette philosophie de vie à travers des anecdotes de ma vie et mon apprentissage continu des enseignements du budo et du bushido. Ces concepts, issus de la tradition martiale japonaise, ne sont pas seulement des techniques ou des pratiques pour le corps. Ils portent en eux une philosophie profonde, une quête d’équilibre et d’harmonie que j’applique sans le savoir depuis très longtemps et qui enrichit ma vie. Je veux approfondir cette voie et la restituer.
Noël arrive dans quelques jours et ce sera donc le premier sans toi. Mais tu m’as déjà fait le plus beau des cadeaux, ton héritage. Je vais continuer de le chérir et de te rendre hommage en poursuivant ma quête du bonheur et imaginer ton sourire et tes yeux qui pétillent en regardant l’homme que j’aspire à devenir.
Tchouss p’tite mère.
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